La parole (le jeu du tu !)
Les flics s'emmerdaient s'évertuaient depuis des siècles à inventer les mille manières de faire parler un suspect récalcitrant alors qu'il suffisait d'inventer la télévision.
Dans un hangar, tu alignes dix rangées de untel et de lambda [Monsieur Tout le Monde et Madame Sosie] et, pour distraire un peu entre deux moments d'émotion, tu affiches deux trois filles moulées à la louche au premier rang.
Tu mets trois caméras, quatorze projecteurs bien réglés et les types se mettent à parler comme si toute leur existence n'avait été construite que pour parvenir à ce moment-là :
_Oui, moi, quand j'étais petit, ma mère m'obligeait à dormir toutes les nuits avec les canards. Rendez-vous compte qu'aujourd'hui encore, j'ignore jusqu'au goût du magret.
_C'est à dire que moi, ça a commencé vers l'âge de cinq ans et depuis, je suis obsédé par l'idée qu'on a des milliers et des milliers de choses à réaliser mais qu'on ne sait jamais en combien de temps. Ça m'angoisse terriblement.
_Ce qui m'est arrivé aurait pu arriver à n'importe qui : je me suis à commenter dans les blogs qui me déplaisent. Chaque fois que quelqu'un émet un propos contraire à mon avis personnel, je conspue et je conchie jusqu'à épuisement des stocks disponibles.
_C'est à dire que moi, ça a commencé vers l'âge de cinq ans et depuis, je suis obsédé par l'idée qu'on a des milliers et des milliers de choses à réaliser mais qu'on ne sait jamais en combien de temps. Ça m'angoisse terriblement.
_Ce qui m'est arrivé aurait pu arriver à n'importe qui : je me suis à commenter dans les blogs qui me déplaisent. Chaque fois que quelqu'un émet un propos contraire à mon avis personnel, je conspue et je conchie jusqu'à épuisement des stocks disponibles.
Et pourquoi les gens s'enferment-ils dans un téléviseur pour se raconter ?
Et pourquoi d'autres gens passent leur vie à regarder des gens qui usent leur vie à détailler leur vie sur des plateaux télévisés ?
Et pendant ce temps-là, les sociétés de production et les régies publicitaires rentabilisent à fond cet espace de compassion commerciale :
Proprex présente ses mouchoirs qui sont durs avec les larmes et doux pour votre peau.
Une crème hydratante annonce qu'il est possible de ne pas avoir l'air d'un crocodile au moment de pleurer.
Une voiture illustre qu'on peut, grâce à elle [et pour la modique somme de 14.995 Euros], partir loin de sa misérable existence [un partenaire de jeu est même présenté pour rendre plus crédible l'illusion].
De la pâtée pour chat est aussi proposée car, quoiqu'il t'arrive, ton animal s'en fout et ne pense qu'à sa gamelle [la castration, ça limite les centres d'intérêts].
Moi, le trac m'estropie, les foies me gagnent et ma peur bleuit rien qu'à imaginer une foule immense de plus de deux personnes toutes occupées à m'écouter. C'est vous dire si je préfère écrire…